Fatima Guentas : être une femme ingénieure.

Femmes du Numérique : En tant que femme ayant réussi dans le domaine du numérique, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

Fatima Guentas : Je suis née en Algérie et issue d’une famille de six enfants. Ma vocation est née vers l’âge de 15 ans lorsque j’ai vu un reportage à la télévision sur l’informatique. J’ai été fascinée et j’ai su que je voulais exercer un métier dans ce domaine. J’avais déjà des prédispositions naturelles pour la logique et les mathématiques et un fonctionnement d’esprit « algorithmique ».

Mes professeurs ont voulu m’orienter vers une filière professionnelle mais ma famille m’a soutenue dans mon choix d’un lycée général avec option informatique. Après avoir eu mon BAC, j’ai fait une licence d’informatique de gestion de trois ans dont je suis sortie Major de promotion, puis je suis rentrée à l’Université de BATNA (Algérie), filière « matériels et logiciels ». Nous étions dans les années 90 et nous étions seulement deux filles dans la promo.

Mon projet était ensuite de quitter l’Algérie pour faire un doctorat en France et revenir dans mon pays pour être maître de conférences. Mais en France, j’ai rencontré mon conjoint. J’ai fait un DEA au lieu d’une thèse et je suis restée ici pour entamer ma vie professionnelle. Dans le cadre de mon DEA Informatique à Luminy (Université d’Aix-Marseille), j’ai fait un stage chez GEMPLUS (GEMALTO) dans la région marseillaise.

Après l’obtention de mon diplôme, j’ai cherché un emploi. J’ai passé un très grand nombre d’entretiens, sans succès. Je ne sais pas si c’était lié au fait que je sois une femme dans un écosystème très masculin ou le fait que je sois d’origine étrangère. Certainement les deux. J’ai finalement été embauchée dans une entreprise informatique à Sofia Antipolis en tant qu’Ingénieure Développement et ma carrière a démarré. J’ai changé de société, j’ai travaillé sur différents projets et j’ai été confrontée à deux cas de discrimination.

Dans le premier cas, l’architecte informatique dont je dépendais exerçait un contrôle bien plus pesant sur moi que sur mes confrères masculins. Heureusement, j’ai eu le soutien de ma hiérarchie qui avait bien pris note de son comportement. Dans le deuxième cas, où j’ai subi de la même façon cette pression, je n’ai pas été soutenue car seul les résultats comptaient et j’ai préféré quitter le projet sur lequel je travaillais.

Les difficultés que j’ai rencontrées ne m’ont pas abattue mais poussée de l’avant car les injustices me stimulaient. Etre sous-estimée impliquait pour moi de prendre ma revanche. Pour cela, je faisais du travail supplémentaire chez moi pour être toujours très compétente professionnellement et ne pas être prise en défaut. Mon conjoint joue un rôle important dans ma carrière car il me soutient beaucoup moralement et sur le plan familial. Cela me permet de m’investir d’avantage dans mon travail (exemple : horaires tardifs). J’essaie également d’être très organisée et efficace, je planifie tout…

Aujourd’hui, je suis Ingénieure Développement chez Digitech, éditeur spécialisé dans la dématérialisation et le numérique. Je travaille sur une solution de gestion électronique des actes et délibérations dédiée aux collectivités locales et territoriales. Je constate l’évolution des mentalités et notamment la valorisation du travail des femmes au sein de l’entreprise. Chez Digitech l’accent est mis par la direction générale sur la diversité et il y règne un fort esprit d’équipe. Je m’y sens bien et je souhaite pouvoir évoluer pour exercer des responsabilités plus importantes au sein de cette entreprise.

 

FDN : Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer – pour ne pas dire briller – dans ce domaine et plus particulièrement dans votre métier ?

Fatima Guentas : Selon moi, les qualités nécessaires pour exercer mon métier sont la ténacité, la patience, une excellente capacité d’adaptation et la maîtrise de ses émotions, car la femme, dans le secteur du numérique comme dans les autres secteurs, aura à prouver constamment qu’elle a les compétences requises. Si j’avais des recommandations à faire auprès des femmes qui rencontrent des difficultés, je dirais de toujours positiver, de toujours trouver un facteur sur lequel s’appuyer pour rebondir et montrer qu’elles sont là…

 

FDN : Quelles sont les rôles modèles et sucess stories qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

Fatima Guentas : J’ai toujours été inspirée par le parcours de la grande figure féminine du vingtième siècle : Marie Curie. Elle a été une grande scientifique qui a marqué l’histoire grâce à ses recherches sur les radiations et elle est la seule femme à avoir reçu deux fois le prix Nobel (prix Nobel de Physique en 1903 et prix Nobel de Chimie en 1911). Elle a fait preuve de beaucoup de courage et a sacrifié sa vie familiale et sa santé pour mener à bien ses recherches, dans une société encore très misogyne.

 

FDN : Aujourd’hui, les femmes représentent 28 % des effectifs des entreprises du numérique en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Fatima Guentas : Afin de permettre à la femme de faire des choix individuels, ambitieux, déterminés et libres de toute influence sociétale négative qui lui font douter de ses capacités d’« entrepreneuse », il est nécessaire de modifier le système de représentation figé de la répartition traditionnelle du rôle de l’homme et de la femme.

Nous devons faire tomber les barrières psychologiques et encourager les femmes à se projeter dans l’avenir, à ne pas avoir peur de se lancer dans de longues études et à entamer des carrières professionnelles dans lesquelles elles trouveront un véritable accomplissement.

 

FDN : Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans le numérique ?

Fatima Guentas : La communication est primordiale pour ces générations, surtout sur les réseaux sociaux, il faut donc s’appuyer sur ces media pour informer sur les métiers, les opportunités de carrière et mettre en valeur les success stories de femmes qui ont brillé dans ce domaine.

 

FDN : Pour conclure : spontanément lorsque vous entendez le mot numérique, vous pensez à quoi ?

Fatima Guentas : Je pense spontanément au film « Minority Report » qui pour moi symbolise le futur où le numérique apporte une liberté dans la gestion des données informatiques grâce à une visualisation sans support physique.