Orange se mobilise pour plus de mixité dans le numérique

Femmes du Numérique : Qu’avez-vous mis en place, prolongé ou enrichi concernant l’égalité Femmes/Hommes, depuis fin 2012 ? Rappelez-nous où vous en étiez à cette date ?

Laurent Depond : La mise en perspective depuis 2012 est différente, elle reposait sur l'égalité strictement professionnelle. Aujourd'hui, le débat est élargi à l'égalité Femmes-Hommes globalement en intégrant tous les dispositifs déployés en dehors de l'entreprise.

Les études de McKinsey révélaient que l'écosystème devait évoluer pour créer de la richesse. Dans le cadre du plan stratégique Essentiels2020, nous nous considérons comme un opérateur digital responsable et humain. Nous nous devons de développer notre écosystème. Nous pensons que l'égalité entre les femmes et les hommes est un levier extrêmement puissant dans toutes nos géographies et nous voulons nous y engager. L’egalité professionnellle est considérée comme un des leviers de la transformation digitale.

Nos actions en interne sont aussi menées en externe par exemple la Maison digitale pour autonomiser les femmes en Afrique et ailleurs. De multiples dispositifs tournés autour de notre métier, le digital, sont mis en place. Par exemple le mobile banking est en Afrique extrêmement créateur de valeur et permet aux femmes d'être autonomes. Le téléphone mobile leur permet d'être bancairisées.

Cette perspective globale s'est concrétisée par la signature des WEP (Women Empowerment Principles) par Stéphane Richard l'année dernière en 2015. Aujourd'hui nous sommes dans une approche globale de l'égalité Femmes-Hommes. Concernant l'égalité professionnelle stricto sensu, nous avons pris conscience que les réalisations n'existeraient de façon durables et pertinentes qu’avec l’engagement des hommes.

Les cercles Happy Men Share More, un programme innovant initié par l’association Mercredi-c-Papa , a pour objectif de faire prendre conscience aux hommes que cette question d’égalité leur ouvre de nouvelles perspectives, épanouissement professionnel et personnel. Les axes prioritaires étaient que 85 % des léviers, 85 % des freins étaient entre les mains des hommes. Il est donc nécessaire de déverrouiller les hommes pour faire avancer la démarche. Sortir d'une démarche compassionnelle (aider à s'affirmer, mentoring, réseau de femmes) pour faire bouger les lignes,  raisonner plutôt en rupture avec les hommes.

Notre entreprise est volontariste sur les processus de nomination, la disparitions des inégalités salariales et porte une attention particulière aux dégâts collatéraux que cause l'exclusion des hommes. Il faut accompagner les hommes vers d'autres sphères, évolution latérale plutôt que hiérarchique, opter pour l'investissement personnel en dehors de l'entreprise dans la sphère privée, dans l'associatif par exemple.

Trouver un discours nouveau qui est porté par le président et les membres du Comité Exécutif pour communiquer sur le fait que nous sommes une entreprise qui croit fermement que l'égalité professionnelle à tous les niveaux et dans tous les métiers, est fondamental pour notre performance durable. Notre performance durable c'est aussi évoquer que nous sommes à la pointe de l'innovation et de la créativité sans nous priver d'aucun talent et en balayant les stéréotypes.

Si on pense que l'innovation et la créativité ne proviennent que des hommes ingénieurs, blancs, d’un certain âge et cursus, on oublie beaucoup de choses. La composante femme doit être intégrée et valorisée pour faire émerger cette créativité.

Nous avons mené des études pour mieux comprendre les leviers et les freins de l'égalité salariale tout au long de la carrière. On observe une grande professionnalisation du sujet lié à sa maturité avec un portage global par le comité stratégique égalité professionnelle. Ce comité definit les grands axes de la politique égalité Femmes-Hommes, portée par le comité executif du Groupe.

<p><strong>A lire si </strong>....On&nbsp;a besoin d’arguments concrets pour (se) convaincre que l’apocalypse numérique n’aura pas lieu.</p>

FDN : Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets de vos dernières actions en faveur de l’égalité professionnelle ?

LD :  Les principales actions portent sur la transformation des mentalités car nous sommes encore englués dans des stéréotypes sociétaux qui ont une importance considérable à l'interieur de l'entreprise, par exemple sur la manière dont les femmes prennent la parole. Tout l'objet aujourd'hui est de faire prendre conscience de ces biais pour travailler dessus, d'éliminer dans les processus décisionnel toutes les histoires du passé qui excluent les femmes de la promotion, de la mise en visibilité. C'est aussi lancer la chasse à la « femme invisible » ! 

Une fois franchie la couche de nuages, on devient visible et on fait partie du gratin, on devient « patron » et l'évolution de carrière est facilitée, de nouveaux positionnement sont envisagés. En revanche pour être identifié dans le pipeline c’est souvent une question de chance. Les critères traditionnels d’identification des talents sont issus des codes masculins et datent d'une époque révolue.

Avec la transformation digitale, il faut revoir ces critères en valorisant par exemple l’expertise ou le management fonctionnel et non la seule responsibilité hiérarchique de grosses équipes, il faut considérer l’importance pour la performance de fonctions supports et ne pas limiter le talent aux univers techniques. Avec les équipes virtuelles, le prisme a changé, la capacité à faire travailler les personnes sans positionnement hiérarchiques est à privilégier.

Capacité à être attentif à la singularité des personnes, à atteindre les objectifs ensemble. Repenser les choses, redonner des critères nouveau pour objectiver les moyens de détecter de nouveaux talents en particulier féminin. La « chasse à la femme invisible » est lancée en test sur dans certaines de nos filiales européennes où les talent managers et les RH cherchent  à identifier des talents féminins avec de nouvelles approches.

Il faut revisiter la notion traditionnelle du leader dans l'organisation car aujourd'hui ce leader est un homme ingénieur à forte portée managériale. Il nous faut réfléchir en valorisation et en contribution à l'écosystème d'aujourd'hui. Après l'éveil, la prise de conscience vient des dispositifs manageriaux d'accompagnement comme sur Orange Campus qui intègre dans toutes les formations managériales  cette vision élargie qui vise à lutter contre l’impact des stéréotypes. Pour mieux rentrer dans le mindset, cette vision est porte au plus haut niveau de l'entreprise par le comité exécutif notamment sensibiliser à #JamaisSansElles#HeforShe.

Il n'est plus politiquement correct de ne pas être engagé. Les managers savent que c'est un  attendu. Le modèle managérial du groupe sert à valoriser et recruter les nouveaux managers qui inclus dans ses composantes la capacité à manager la diversité. Ce critère a évolué dans le temps. La communication est récurrente sur les stéréotypes et doit être réactualisée pour favoriser la posture de communiquant responsable excluant par principes tout stéréotypes.

Avec la tendance forte de la transformation digitale et des enjeux de service aux entreprises, l'idée est de changer les codes pour éviter de se priver d'aucun talent, valoriser les personnes, raisonner en singularité des individus, en qualité managériales.

On embarque l'égalité professionnelle dans une révolution globale sans en faire un système à part. Le plan stratégique Essentiels2020 englobe dans les sujets le fait d'avoir une vision égalité professionnelle.

 

FDN : Quels résultats qualitatifs et quantitatifs vos actions ont-elles apportés ?

LD :  Sur la dimension qualitative, il n'est plus politiquement correct de ne pas être engagé dans l'égalité professionnelle quand on est un homme, un manager, on ne peut plus dire que l'on est contre. Hommes et femmes du groupe considèrent à 90 % qu’Orange est très engagé sur ce sujet c'est un beau résultat !

D'un point de vue quantitatif l'écart salariale femmes-hommes chez Orange est inférieur à 1 %. L'égalité salariale est une politique monde. Orange est labellisé par le Gender Equality European and International Standard ce qui témoigne de l'implication du groupe sur l'égalité entre les femmes et les hommes notamment sur l'égalité salariale, l'équilibre du temps de vie, la mixité des métiers et l'accès des femmes au poste à responsabilités. Trois nouvelles filiales européennes ont été  labellisées cette année : la Pologne, le Luxembourg et la Roumanie. L’Egypte est notre première activité africaine à l’être et cette démarche va être étendue à tout le continent.

Quand il y a des nominations aux COMEX, Stéphane Richard est sensible à l'équilibre hommes femmes à respecter.Orange est la quatrième des entreprises françaises du SBF120  sur la féminisation de ses instances de direction. Orange s’est fixé un objectif ambitieux de féminisation de ses CODIRS avec en 2012,un taux de 25 % passé aujourd'hui à 32 %, très proche de l'objectif de 35% correspondant au taux de féminisation de l’entreprise.

La féminisation des métiers est aussi encouragée via le programme Capital filles et des campagnes de communication sur les métiers d'avenir mettant en scène des femmes afin d'attirer les jeunes femmes. La création de classes de filles avec une formation en alternance permet à des jeunes femmes d'acquérir les compétences techniques nécessaire au métier de technicienne d’intervention et d'obtenir un CDI : en île de France, le taux de féminisation de ces métiers a doublé.

Le dispositif de shadowing a pour objectif de convaincre lycéennes et les collégiennes de venir découvrir le quotidien des métiers scientifiques et techniques d'Orange pour lutter contre les stéréotypes : elles accompagnent des marraines pendant une journée..  Un dispositif de communication est mis en place et partagé avec l'éducation nationale pour aider les associations à promouvoir l'intérêt des métiers scientifiques et techniques. Il s'agit de démontrer qu'un ingénieur ce n'est pas une blouse blanche dans un laboratoire devant un écran, il s'agit de casser les stéréotypes chez les filles, les parents et les conseillers d'orientation. Au niveau international, des lycéennes ont participé à ce programme dans de nombreuses géographies du Groupe comme à Singapour, au Brésil, en Inde, en Italie et en Allemagne.

Peu de filles choisissent les filières qui conduisent à nos cœurs de métier par méconnaissance. Orange travaille ainsi beaucoup sur les Rôle Models. Des jeunes talents sont mis en visibilité dans les médias pour susciter des candidatures féminines.

Le Mentoring est devenu global, étendu à tous les pays et à tous les niveaux hiérarchiques. Une initiative cible en particulier les femmes ayant le potentiel de devenir cadres.

Le dispositif de déploiement élargi des cercles Happy Men avec prochainement l'Espagne et la Belgique. Un rapide tour d'horizon culturel permet de mettre en valeur l'Europe de l'Est très équitable sur la question de l'accès des femmes aux responsabilités mais où des préjugés résistent sur le rôle des femmes. En Afrique, plus particulièrement au Sénégal, les femmes travaillent mais remettent leur argent à leurs maris. Une barrière culturelle difficile à faire évoluer.

Une discrimination salariale systémique dans une situation où le chef de famille ne peut être qu'un homme et peut seul bénéficier des avantages familiaux en terme d’imposition dans un système de prélèvement à la source ce qui rend difficile l'égalité femmes-hommes. Culturellement un homme ne s'occupe pas des enfants ni des tâches ménagères.

Pour sortir de ses biais culturels, il faut montrer d'autres rôle model, communiquer  sur les maisons digitales /les FabLabs solidaires de la Fondation Orange pour véhiculer des messages non stéréotypés et faire bouger les lignes, faire évoluer le modèle existant.

Les nouvelles générations ont des comportements différents mais conservent les stéréotypes traditionnels  dès l'arrivée du premier enfant. La remise en cause n'est pas si évidente. Les campagnes de communication dans les lycées et collèges sont un levier à privilégier. Le dispositif Capitale Filles lancé en Roumanie et en Pologne permet d'expliquer les métiers scientifiques et techniques et inciter les jeunes filles à s'y engager. Appuyé par la mise en perspective d'emploi durable, il s'agit d'encourager les jeunes filles à choisir ces filières d'avenir.

En matière d'égalité professionnelle la France est bien placée car appuyée par la législation mais il reste des stéréotypes prégnant. L'Espagne est très active tout comme la Roumanie avec chacune ses biais  et ses retards. Aujourd'hui aucune solution n'est parfaite. Les bonnes pratiques s’échangent, l'Espagne est inspirante en organisation du travail, conciliation vie privée et vie professionnelle. Avec le digital, l’organisation du travail et facilitée. Happy Men se développe prochainement en Espagne, en Belgique et souligne l'engagement dans l'équilibre de vie privée et vie professionnelle des hommes d’Orange.

Difficile de l'envisager en Afrique en raison de la place culturelle de la femme dans l'environnement professionnel ( femme travaille pour l'homme).

 

FDN : Qu’avez-vous appris de ces expériences ? Succès, difficultés, axes d’amélioration…

LD : Une compréhension plus fine du sujet, les études extérieures et internes menées ont montré que certains actions confortables ne mènent à rien comme par exemple les réseaux féminins qui rassurent les femmes mais n’ont que peu d’impact pour faire évoluer les choses. Les femmes sont bien dans les réseaux féminins cela participe de la qualité de vie au travail mais ne constitue pas un levier puissant pour l'égalité professionnelle. Pour Orange, il n'est pas utile de faire du lobbying car le COMEX est convaincu.

Orange se distingue par son COMEX très féminisé, numéro deux du CAC 40. Les femmes au Comex ont des responsabilités opérationnelles de grande envergure ou des fonctions où on ne les attend pas comme le pilotage des fonctions techniques du Groupe... Fabienne Dulac, directrice exécutive d'Orange France pilote la France avec 80 000 personnes et un chiffre d'affaires conséquent. Tout comme Mari-Noëlle Jégo Laveissière qui anime le marketing, l'innovation, le système d'information dépasse les stéréotypes traditionnels.

À travers les études, l'objet était d’identifier ce qui était vraiment impactant et la façon d'atteindre les objectifs par l'identification des leviers pointus.

 

FDN : Sur la base de l’expérience que vous avez acquise grâce à votre projet ou plan d’égalité professionnelle, quel conseil (étapes, organisation, bonne pratique, idée simple et efficace…) donneriez-vous à une structure qui se lance dans un tel projet pour l’aider à le construire de manière efficace et pour éviter les écueils ?

LD : Mes conseils seraient :

  • Intégrer les hommes et ne pas faire un système que pour les femmes
  • Envisager une logique de mixité et d'intégration dès le départ dans l'ensemble des processus RH de l'entreprise. Revisiter au vu du prisme égalité professionnelle.
  • Partage des dirigeants et des décisions emblématique de nomination avec des exemples et des rôle models
  • Eviter les « femmes caution », privilégier des femmes bien crédibles. Nommer des femmes talentueuses capables de tenir les jobs sur des postes où elles ne sont pas attendues

Les écueils seraient de raisonner en  :

  • femme uniquement
  • compassionnel et court termisme
  • législation avec la contrainte des quotas et d'image

Établir son business case de la diversité, intégrer des personnes qui raisonnent différemment, des profils nouveaux pour prendre de meilleures décisions et pour assurer une meilleure adhésion et on boarding.  Les dirigeants doivent prendre la parole sur l'engagement des hommes pour être crédibles exemplaires.

Interview réalisée par : Myra BRAGANTI, CBO Never Eat Alone