La santé au sens large est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Le candidat François Hollande en avait fait un « symbole du pacte qui unit les Français ». Par Guy Mamou-Mani, Président de Syntec numérique et Ghislaine Alajouanine, Présidente du Haut Conseil de la Télésanté/E-Santé Commission Galien, et de Télémédecine sans Frontières.

L'ancien président du conseil général de Corrèze avait pu se convaincre de la nécessité de créer de véritables dynamiques autour de projets de santé territoriaux qui favorisent « l'articulation de l'offre sociale, médico-sociale, hospitalière et de ville », « repensée de manière intégrée ». Mieux prévenir, mieux guérir et mieux garantir était le titre de la tribune de trois de ses conseillers de campagne - Fleur Pellerin, devenue ministre, Alain Rousset, président de l'Association des régions de France, et Jean-Marie Le Guen, député de Paris - parue dans Libération du 11 avril 2012. Ils y regrettaient que les discours volontaristes des cinq dernières années n'aient enclenché « l'indispensable modernisation du système de santé ».

L'ambition : « Faire de la France un leader mondial de la télésanté »

Cet échec nous pénalise tous lourdement et les acteurs du numérique et de la santé que nous sommes en assument leur part de responsabilité, car le retard français dans ces secteurs stratégiques s'aggrave, alors qu'ils sont créateurs de valeur ajoutée et représentent un grand atout pour la France.

Nous avions pourtant affiché de fortes ambitions il y a bientôt six ans, dès février 2007, par la voix de la présidente de la commission Galien : « Faire de la France un leader mondial de la télésanté ». L'année suivante, cette ambition avait gagné tout le secteur numérique dans un rapport publié par Syntec Numérique sous l'égide du Medef : Faire de la France un leader de l'économie numérique ; puis détaillé par la chambre professionnelle dans son Livre blanc Télémédecine 2020 : faire de la France un leader du secteur en plus forte croissance de la e-santé, remis à Mme Marisol Touraine, lors du salon HIT (Health Information Technologies) 2012.Sans doute avons-nous voulu aller trop vite, négligeant le temps de la nécessaire pédagogie auprès des utilisateurs, de la concertation avec les acteurs du terrain et celui de l'acculturation par les décideurs publics. Nous pensions que nous étions compris alors que nos discours autour des approches et solutions numériques (SaaS, Cloud Santé...) sont trop souvent abscons et que les innovations suscitent des craintes, chez les opérateurs et les usagers.

Pour faire sortir de l'ornière cette « filière au potentiel économique considérable », et enclencher une dynamique vertueuse pour cet « aggiornamento » des professions du numérique en santé, nous devons d'abord prendre en compte, pour contribuer à l'amélioration des soins, la problématique de leur coordination qui en constitue le cadre structurant. Il faut pour cela travailler en amont avec tous les acteurs de la chaîne de soins sur leurs expressions respectives de besoins.

Avec une vision plus claire de l'agenda, des enjeux et des besoins en matière d'échanges de données et de partage de ressources, il sera possible de leur proposer des solutions numériques et des outils de communication permettant d'adresser techniquement leurs problématiques métiers dans le cadre général de la coordination des soins.
Ainsi pourra aboutir la consultation à trois (le médecin, son patient et Internet) de la « médecine numérique », avec ses outils spécifiques qui facilitent le partage et l'échange des informations patients, l'accès aux informations médicales les plus récentes et la collaboration pluridisciplinaire autour d'un diagnostic.

Les outils et solutions numériques que se seront appropriés les professionnels de santé seront alors perçus pour ce qu'ils sont : un levier indispensable de modernisation du monde de la santé qui répond à des exigences de qualité, d'efficience et d'accessibilité pour assurer la permanence et la coordination des soins, en établissement ou à domicile.
L'outil numérique doit être compris comme un outil de « reengineering », brique essentielle de la transformation du système de santé. Conçu ainsi, il participe à la réinvention des métiers liés aux soins et au médico-social qu'il contribue à valoriser et devient alors un formidable vecteur de croissance.

Aussi, il faudra prendre en compte les interrogations sur le dossier médical personnalisé (DMP), victime de son statut d'objet hybride. Elles nous apprennent que les solutions imaginées, organisationnelles ou technologiques, doivent toujours être perçues comme la réponse à un besoin métier qui cherche les moyens de sa concrétisation.
Des stratégies gagnant-gagnant faisant l'objet d'un consensus large avec les différentes parties prenantes du système de soin pourront alors voir le jour. La législation, qui se veut plus respectueuse du droit des patients, acteurs de leur parcours de soin, en fournit l'occasion.

Le marché du « homecare » : 500 milliards d'euros sur 30 ans

Le déploiement du programme hôpital numérique pourrait ainsi s'inscrire dans un plan faisant droit à la démarche haute sécurité santé (HS2) qui garantirait à tous les Français une protection de leur capital santé. Ce serait une avancée aussi importante pour le monde de la santé que l'adoption par le secteur du bâtiment de la norme haute qualité environnementale (HQE).Elle nécessitera de dépasser la complexité des organisations et des processus de soins, la multiplicité des acteurs concernés, les résistances sociologiques aux changements, la difficulté à lancer des projets de grande ampleur, qui doivent aussi répondre à la mise en place de modèles économiques pérennes.

Il faut enfin envisager cet enjeu de la e-santé comme partie prenante de notre compétitivité, concourant à la réduction des dépenses de santé pour un meilleur service. Il est urgent de tirer parti de ce potentiel de croissance et de répondre en particulier aux besoins du « Homecare », le plus grand marché de l'avenir - soutien à la personne, sa sécurité, son mieux-être, son vieillissement, sa dépendance -, estimé à 500 milliards d'euros sur trente ans.